Raffiné mais surtout «Grandgousier»

Publié le 15/11/2015 Petit Bleu

Confrérie de «braves hommes» selon la définition de Rabelais, les Grandgousiers ont fêté récemment, à Franscescas, leur vingt cinquième anniversaire. En chantant. Et en mangeant.Récit

Dans l'assiette, aguicheuse, voire provocatrice, une tête de veau ravigote nous fait les yeux doux. En l'attendant de fourchettes fermes, nous avions entrepris timidement une petite expédition au buffet d'entrée à volonté (la nôtre a rapidement disparu) histoire de faire connaissance avec ce restaurant foulayronnais de l'avenue du Caoulet.

C'est donc la peau du ventre légèrement tendue que nous avons communié en dégustant la tête de veau… Difficile de partager une table avec deux Grandgousiers sans songer à cette réflexion profonde de Rabelais : «L'appétit vient en mangeant ; la soif s'en va en buvant». Une fois encore, nous avons pu constater ô combien l'auteur de Gargantua a parfaitement percé la nature humaine puisque nous avons refusé le dernier verre de vin mais pas le tiramisu ultime.

Depuis décembre 2014, la confrérie des Grandgousiers est présidée par un Auvergnat : Éric Tissier. «Nous sommes une association d'épicuriens en quête de la substantifique moelle», explique avec conviction le président Tissier en coupant délicatement un morceau de tête de veau. Le regard soudainement attendri, comme s'il tombait subitement nez à nez avec un chou farci, il développe : «Nous recherchons l'excellence dans la tradition en nous mettant en quête de lieux particuliers. Plus personnellement, cela m'a permis de pénétrer dans l'intimité de l'Agenais». Il illustre d'emblée son propos. Il évoque la palombière de chez Pierrot, vante merveilleusement la soupe de «Chez Reine» concoctée dans un troquet de Castillonnes, s'attarde sur un gigot à la ficelle cuit 4 heures devant la cheminée en compagnie de ses flageolets aux couennes, songe, ému, à un couscous de chez Khady à Lacardayre. Il résume enfin sa mission au sein des Grandgousiers : «amener ce groupe d'épicuriens à être des ascètes de la gastronomie.»

Ils sont actuellement une bonne vingtaine à en être et à suivre méticuleusement les préceptes d'une charte dont nous ne révélons ici que deux fulgurances. «gourmet mais gourmand», «raffiné mais grandgousier».

La confrérie, sa blouse noire, son foulard rouge, a fêté le vendredi 6 novembre dernier ses 25 ans d'existence. La bombance a eu lieu chez un grandgousier, mais pas n'importe lequel : Bernard Larrieu. Il a accueilli les joyeux drilles dans son Relais de La Hire, à Francescas. «Les palombières toutes proches étaient mobilisées et l'oiseau bleu était de la cérémonie», raconte un participant qui se garde bien de lever le voile sur les festivités. «Quelle soirée, confie-t-il. Ça ne se raconte pas. Il faut la vivre». Nous ne savons pratiquement rien des rites et coutumes du Grandgousier en liberté si ce n'est un poème, signé d'un ancien membre parti sous d'autres cieux (Pierre Verbauwen). En alexandrin, il écrit :

« Un simple foulard rouge à leur cou est noué, Afin de faire valoir aux yeux de tout le monde

L'écarlate des joues, le violacé des nez, Et l'éclat carminé des faces rubicondes »

Et dans la foulée :

« Un chapeau à bord rond somme leur chef altier,

Conférant à l'ensemble une mâle assurance.

Tous pénétrés qu'ils sont de leur tâche sacrée,

Sous leur toge rustique, hiératiques, ils s'avancent ».

«Comme vous l'avez compris, précise l'un d'eux, être grandgousier, c'est un état d'esprit, une équipe où chacun de ses composants, exploite, à tour de rôle une partie immense de son potentiel personnel. Nos différences sont nombreuses. Si on vient à quitter le groupe, c'est plus pour divergences de conception que d'opinion».

Fondée par le regretté Fred Jon et le sémillant Robert Sasmayou, l'association prône l'amitié. Elle attaquera 2016 par l'intronisation d'un sympathique sujet de sa majesté et annonce une autre agréable surprise. Une tête de veau ?

Grandgousier (grand gosier) est le mari de Gargamelle, la fille du roi des Parpaillons, et le père de Gargantua. Personnage rabelaisien par excellence, il reflète l'appétit de tout, la vie, la bonne chère, etc. Il sert aussi à la description que Rabelais fait du bon roi, en l'opposant au mauvais roi : Picrochole.